A Marie
CARNET DE ROUTE
02/03/03 Dakar
Mon séjour touristique au Sénégal est terminé, c'était une bonne entrée en matière, avec un aperçu des différentes régions du pays. Je vais maintenant partir comme prévu à la rencontre de fabricants et d'installateurs de cuiseurs solaires, d'abord au Sénégal puis au Mali et certainement au Burkina Faso, au fil de mes rencontres.
photos illustrant ce paragraphe12/03/03 Yoff, quartier de Dakar
Sobo Badè
Kitsch, c'est le mot qui vient à l'esprit quand on entre dans cet endroit à Toubab Dialaw, sur la côte à 50 km au sud de Dakar. La première impression inspire la maison du facteur Cheval, avec un surprenant mélange d'arches pavées de coquillages, de tours coiffées de créneaux ou d'une coupole en mosaïque turquoise, de minarets en terre cuite, de chaumières en brique et en pierres de couleurs diverses. C'est d'abord la curiosité qui pousse à aller voir plus loin et puis on se retrouve à flâner dans ce labyrinthe d'allées, de couloirs et d'escaliers, où l'intérieur communique avec l'extérieur, pour découvrir ça et là des statues en basalte ou en marbre, des tables en fer forgé, des plantes de toutes sortes ou tout simplement une vue sur la mer.
Kitsch, nombre d'objets ici le seraient sans doute, pris séparément, comme cette fontaine en mosaïque aux motifs turquoise, ocre et blanc, mais l'ensemble est harmonieux et dégage une atmosphère apaisante, à l'ombre des filaos et au bruit des vagues qui s'écrasent en contrebas. Le lieu stimule l'imagination et on a l'impression tour à tour de se trouver en Andalousie, en Inde, dans un jardin botanique ou un manoir normand. L'artiste a joué avec les styles et les matières et nous invite à partager son délire.
L'hébergement et la restauration forment le fond de commerce pour donner libre cours à la création. Des activités d'arts plastiques, danse, rythmes africains, arts martiaux, yoga sont aussi proposées. Le contraste avec l'environnement, un chantier tentaculaire, est saisissant et on pourrait se dire que le style n'a pas grand chose d'africain. Il est vrai que cet espace aurait pu se trouver n'importe où ailleurs mais il est là et, après tout, quelle importance ?
Une semaine à N'Diaganiao
La région de N'Diaganiao, une commune rurale de 6000 habitants à 110 km de Dakar et 30 km de la côte, a fait l'objet de plusieurs projets de cuisson solaire. Le plus important, en terme de budget, a notamment équipé un atelier de menuiserie d'une machine combinée d'occasion pour réaliser des cuiseurs, mais les observateurs sur place sont découragés : peu de cuiseurs ont été réalisés et il semble bien qu'aucun ne soit utilisé.
Trop chers et inadaptés à la cuisine locale : c'est le constat d'une étudiante française et de son amie que je croise le jour de leur départ, après un séjour de 2 mois.
Trop chers : 50.000 FCFA (soit 75 Euros), c'est un bon mois de salaire, et très supérieur au revenu mensuel de la plupart des familles locales. Je demande comment se décompose ce prix mais personne ne s'est posé cette question "c'est le prix qui a été fixé au départ". Un calcul approximatif (1) permet d'évaluer le coût d'un cuiseur en dessous de 20.000 FCFA, ce qui représente 50 FCFA (8 centimes d'Euro) par jour pendant un an (sans compter l'aide éventuelle d'une association), de quoi concurrencer le bois, le charbon ou le gaz.
Inadaptés à la cuisine locale : certains plats sont cuits à la vapeur dans des sortes de couscoussiers en terre cuite. Reste que la majorité des plats est à base de riz et de sauce (au poisson, à la viande, au poulet). "Nous avons essayé de cuire du riz, mais ça n'a pas marché, c'était trop cuit et tout collant". Je ne suis pas très bon cuisinier, mais je demande quand même "n'avez-vous pas mis trop d'eau ? ". Ma question surprend "trop d'eau ? ".
Au retour du marché avec mon hôte Raphaël, nous passons à l'atelier de menuiserie. La machine tourne, un meuble est en cours de fabrication. Le menuisier nous montre un prototype de cuiseur de grande taille destiné à recevoir une marmite familiale (les modèles précédents n'étaient pas assez profonds). Trois réflecteurs optionnels s'ajoutent à celui d'origine pour former une sorte d'entonnoir à lumière. L'intérieur est en plaques d'imprimerie type "offset " de récupération et les réflecteurs sont recouverts de papier alu ordinaire. Des essais ont été réalisés, comme en témoignent quelques traces de sauce sous la plaque de fond. Malgré l'absence de double vitrage (prévu), le menuisier affirme avoir atteint 120°C et 140°C avec les réflecteurs d'appoint (2). Il y a aussi un vieux cuiseur double en cours de réparation. Il faudra une longue réflexion au menuisier pour faire le compte du nombre de fours qu'il a fabriqués : à priori quatre... y compris le prototype de grande taille dont le prix "n'a pas encore été décidé".
De passage à M'Bour, je rends visite au dispensaire de Niaming car j'ai appris qu'une association de la région nantaise y a mis en place une parabole solaire pour la stérilisation du matériel médical et pour faire bouillir le linge. L'infirmier me reçoit et me montre l'engin qui repose sous un drap, bien rangé à l'abri. "En fait, depuis que les filles sont parties (il y a un an), on ne s'en est pas beaucoup servi". Il faut dire que le stérilisateur électrique est plus pratique, même si les factures d'électricité sont difficiles à payer, sans subvention de l'Etat. "Ça ne chauffe pas vite et on n'arrive pas à faire bouillir, sauf une petite quantité d'eau. Il faudrait qu'elle soit plus petite et plus puissante". Il s'agit d'un modèle tout en aluminium de 700W de puissance fabriqué par un chantier d'insertion de Nantes. Prix de vente au public : 380 Euros.
photos illustrant ce paragraphe(1) Estimation du coût d'un cuiseur de grande taille (volume utile 50x50x40cm) : 6 m² de contre-plaqué léger : 6.000 FCFA, 15m de tasseau 5x5cm : 2.000 FCFA, papier alu : 1.000 FCFA, 2 vitres 80x80cm : 4.000FCFA, visserie et peinture : 4.000 FCFA, main d'œuvre : 2.000 FCFA le tout ne devrait pas dépasser 20.000 FCFA pour une pièce, probablement 15.000 FCFA par série d'une dizaine.
(2) Rappelons que la notion de température ne permet pas de caractériser un moyen de cuisson. D'ailleurs, tant qu'il contient de l'eau, un aliment ne peut pas dépasser 100°C, à moins d'être cuit sous pression. Seule la vitesse d'échauffement d'une quantité donnée de nourriture permet de déterminer la puissance de chauffe : si 1 litre d'eau s'échauffe de 10°C en une minute, cela correspond à une puissance d'environ 700W. En plein soleil, on estime généralement la quantité d'énergie disponible à 1000W/m².
Anecdote marquante
Ça a commencé par une ou deux petites cloques d'eau sous la peau. Rien d'inquiétant, une réaction à la chaleur, sans doute. Sauf qu'elles se sont avérées persistantes, et puis il y en a eu d'autres, de plus en plus. Un matin, je pars consulter un médecin à Saly, à 38km de N'Diaganiao en taxi-brousse. Un premier médecin m'ausculte à peine : "allergie à la Savarine (traitement préventif contre le Paludisme)". C'est plutôt rassurant, mais je ne suis pas rassuré pour autant. Sur le chemin du retour, je m'arrête à M'Bour où l'on m'indique un médecin. La plaque au-dessus de la porte est à peine assez grande pour contenir tous les titres honorifiques, mais à peine entré, je décide de repartir, à la grande surprise de l'assistante : la salle d'attente est déserte et d'une saleté peu engageante. Je finis par dénicher le bon toubib. Après deux heures d'attente, le diagnostic tombe, sur fond de prière à la Mecque retransmise en vidéo sur l'ordinateur derrière moi : "la varicelle, il n'y a aucun doute, d'ailleurs, il y a une épidémie chez les enfants dans la région. Bien... Après tout, ça aurait pu être la peste. Ce sont mes hôtes qui vont être contents ! Finalement, tout se passe dans la bonne humeur. Je dérouille quand même pendant deux jours et les cratères que j'ai partout sur le corps ne sont pas prêts de disparaître. N'Diaganiao m'aura marqué...
photos illustrant ce paragraphe âmes sensibles, s'abstenir17/03/03 M'Boro, 80km au nord de Dakar
Monsieur Soleil
Abdoulaye Touré est le Monsieur Soleil du Sénégal, non pas pour prédire l'avenir, mais pour développer l'énergie solaire dans le pays. Ancien instituteur et directeur d'école, il a été détaché tout récemment à la fonction de président de la commission des écovillages et des énergies renouvelables par le président de la république, Abdoulaye Wade. Ecologiste convaincu et militant depuis une vingtaine d'années, il ne dispose d'aucun budget de l'état pour mener cette tâche mais peut maintenant y consacrer tout son temps. Il porte un regard très lucide sur les projets en cours et tente de coordonner l'action des ONG qui souhaitent agir dans ce domaine.
Après lui avoir été présenté par Bruno, qui m'avait reçu à N'Diaganiao, je suis accueilli par Abdoulaye qui m'héberge chez lui à Yoff, dans la banlieue de Dakar, en bord de mer. C'est la fin de la FIARA (Foire Internationale de l'Agriculture et des Ressources Animales) où il anime un stand exposant notamment un cuiseur solaire double appartenant à sa femme. Il s'est arrangé pour que soit diffusé au même moment sur l'unique chaîne de télévision sénégalaise un reportage sur l'expérience de cuisson solaire menée à Colibantan, un village dans l'est du pays, en collaboration avec l'association de Bruno. Star de la télé, bien reconnaissable avec son sombrero de paille, il profite de cette notoriété passagère pour faire passer inlassablement son message autour de son cuiseur solaire auprès des enfants des écoles, des délégations de régions ou des pays voisins ou des simples particuliers. Je lui tiens ainsi compagnie pendant 2 jours, alors qu'il multiplie les contacts et prend rendez-vous pour organiser des séminaires dans les villes ou les villages.
Ensuite, Abdoulaye me propose de passer trois jours avec lui à Mékhé, où il a sa résidence principale et où il souhaite mettre au point son cuiseur. Ensemble, nous rédigeons un
03/04/03 Bamako
Le CIFOP de M'Boro
La " grande côte " au nord de Dakar est un endroit agréable. Il y fait frais, voire froid pour le pays, souvent en dessous de 20°C. La mer fraîche et la baignade dangereuse ont préservé cette région des Niayes du tourisme étouffant de la petite côte, au sud de Dakar et de la violence qui l'accompagne. L'ambiance est décontractée, les habitants sympathiques et accueillants. Le long de la côte, des villages peuls pratiquent la pêche en pirogue. D'autres villages à l'intérieur des terres pratiquent le maraîchage (oignons, carottes, choux, pommes de terre...) grâce à une multitude de puits peu profonds d'où l'eau est extraite à la force des bras. Aucune installation d'irrigation, pas de canaux ni tuyaux, l'arrosoir est le seul accessoire utilisé. On trouve aussi une multitude de vergers (principalement de manguiers) mais cette activité est saisonnière. La conservation des fruits pose d'ailleurs un problème qui pourrait peut être trouver une solution grâce aux séchoirs solaires, bien adaptés à la conservation des fruits et des légumes. Toute cette zone est en cours de reboisement, principalement avec des eucalyptus et des filaos dont une bande limite l'érosion tout au long du bord de mer. Il y a aussi quelques Baobabs majestueux et, ce qui n'est pas courant dans le pays, des cocotiers.
A M'Boro, au milieu de cette bande côtière, se trouve le CIFoP, Centre International de Formation Professionnelle créé par les éclaireurs et Scouts du Sénégal et du Luxembourg. Cet établissement propre et bien équipé forme environ 90 apprentis en menuiserie, construction métallique, mécanique auto et coiffure. Les sections horticulture et couture ne sont pas actives cette année. Huit cuiseurs solaires ont été construits ici en collaboration avec une association de jeunes en difficulté de la région de Nantes
Bouba, le surveillant général, me reçoit et m'héberge chez lui pour la nuit. Le lendemain, je rencontre Ibou Kassé, le chef des travaux qui m'explique que les cuiseurs ont été distribués dans des villages peuls où ils ne semblent pas être utilisés. Il me montre un exemplaire dans l'atelier de menuiserie. Le centre a aussi monté une éolienne de 1kW qui lui a été donnée en kit, mais elle ne fonctionne plus et une pale est cassée. Nous parlons énergies solaire et éolienne et je laisse à Ibou une copie de mon CD de sites internet sur ces sujets. Situé à mi-chemin entre la ville et la mer, le Centre n'est pas relié au réseau électrique. Il dispose d'un groupe électrogène pour alimenter les ateliers le jour et les logements sont équipés de panneaux solaires.
Je rends aussi visite à un groupe de babas cools suisses qui séjournent à côté du CIFoP dans leur luxueux camping car. Ibou leur a prêté un cuiseur solaire, don d'une association. Il s'agit d'un modèle hollandais de fabrication industrielle dont Fabienne se sert pour faire le pain. Elle m'indique un village Peul qui possède un cuiseur fabriqué au CIFoP. Malheureusement, ma visite ne m'apprendra rien, les propriétaires étant absents, et il me faut déjà partir pour rejoindre Dakar avant la nuit.
21/03/03 Bamako, Mali
L'express Dakar Bamako
Les transports routiers au Sénégal sont pénibles. Il n'y a pas de bus de ligne, comme dans la plupart des pays voisins, mais seulement les "7 places", des 504 break où sont entassés 7 passagers, avec de multiples changements, et les "cars rapides" qui, comme leur nom ne l'indique pas, sont des minibus d'une incroyable lenteur. A chaque arrêt, une partie des passagers doit descendre pour permettre aux gens de prendre place ou de sortir. Il faut aussi monter les bagages sur le toit ou les rendre à leurs propriétaires, sans compter la fermeture des portes qui demande souvent l'intervention du mécanicien. Et des arrêts, il y en a. A chaque village, bien sûr, mais comme les arrêts ne sont pas matérialisés, chacun arrête le car où il veut. Ce petit manège peut ainsi se répéter 3 fois sur 100 mètres de distance, ce qui ne manque pas de me surprendre, mais je suis le seul, avec le chauffeur qui manifeste tout de même quelquefois des signes d'irritation.
Aussi, pour me rendre au Mali, je décide de prendre l'express Dakar-Bamako qui, comme son nom ne l'indique pas, est un tortillard qui met 36 heures pour couvrir les 1300 km de trajet. Les fiches horaires ont le mérite d'être claires "horaires théoriques". J'arrive à 13 heures à la gare de Dakar où il est écrit "vente des billets de 9h à 17h". Par contre, il n'est pas écrit que seul un guichet est ouvert, ni qu'il ferme de 13h à 15h, ni qu'il met 10 à 20 minutes pour servir chaque client. Vers 14h, la queue se forme brusquement et j'ai 8 personnes devant moi, mais à 15h, j'en compte 25, chacun se faufilant sous les prétextes les plus divers. Au rythme où ça va, je commence à me demander si je vais avoir un billet. J'y parviens un quart d'heure avant la fermeture du guichet, après 4 heures d'attente. La plupart des gens de la file n'auront pas cette chance et devront acheter leur billet au marché noir... à ceux qui se sont faufilés devant pour en acheter des liasses.
On m'avait mis en garde : "prends une couchette si tu veux arriver avec tes bagages et tes papiers". J'ai bien fait de suivre le conseil, la voiture de première classe est bondée, quant aux secondes classes, il y a des gens jusque sur le toit. Il est vrai qu'il n'y a que deux rotations par semaine. Le train est si rare que les voies sont squattées en ville et c'est à grands coups d 'avertisseur que le convoi se fraye un passage au milieu des marchés, des zones artisanales ou de recyclage des déchets et des bidonvilles. La SNCS a eu l'excellente idée de choisir le même sigle que la SNCF. Du coup, il n'y a eu que le F à remplacer sur les voitures. Il y a quand même quelques adaptations locales, WC à la turque et voiture restaurant astucieusement aménagée dans un ancien wagon à compartiments. On y mange d'ailleurs bien mieux que chez nous et les tarifs sont très raisonnables, mais aller jusque là est périlleux : les plaques de jonction entre les voitures sont absentes, il faut enjamber le vide, sans compter les portes donnant sur la voie qui sont toutes ouvertes et les passages bondés. L'antique voiture lits est confortable, ce qui est appréciable car le trajet est long et il fait chaud. Le train roule souvent au pas et vus les rails tordus, les traverses détruites et parfois les épaves de wagons qui jalonnent le parcours, on ne souhaite pas qu'il aille plus vite. Les arrêts sont interminables et donnent à chacun l'occasion de faire son marché dans les rues avoisinantes. Les mangues sont délicieuses. Il faudra ainsi près de 42 heures pour atteindre Bamako. J'aurai eu le temps d'admirer le paysage et de discuter avec les passagers qui sont bien contents : la voie est unique et il n'est pas rare que le convoi attende plusieurs jours qu'on la répare.
03/04/03 Bamako
Un chercheur au pays des traditions
Peintre, musicien, chaman, Gnibouwa Diassana est avant tout un chercheur. La cour de sa maison est pleine de prototypes et de maquettes d'engins solaires en tout genre, cuiseurs divers, mais aussi séchoirs, chauffe eau, panneaux photovoltaïques. "Chaque jour quand je me lève, je pense à toute cette énergie qui ne sera pas utilisée...". Alors, lorsque sa journée de travail pour une ONG spécialisée dans le développement est terminée, il retourne à ses recherches. Car il s'agit bien de recherches. Inventeur très astucieux, Gnibouwa appuie ses travaux sur une très bonne connaissance des principes physiques. Il a travaillé en collaboration avec l'université de Turin, réalisant expérimentations et mesures et participant à la rédaction d'un livre dans le cadre du projet "Soleil pour tous" en 2001 portant sur la sécurité alimentaire dans les pays du Sahel. Il a aussi travaillé en collaboration avec l'association Solar Cookers International dont il est membre et Roger Bernard, chercheur universitaire français qui a rédigé plusieurs livres sur la cuisson solaire.
Autant dire qu'ici, dans la région de Bla, au sud du Mali, il est considéré comme un original. Bien que le pays s'intéresse à l'énergie solaire (il existe un centre de recherches spécialisé à Bamako) et à la lutte contre la déforestation, Gnibouwa ne bénéficie d'aucune aide, même pas de l'ONG pour laquelle il travaille et dont les objectifs cadrent pourtant bien avec ses travaux. Alors il continue ses recherches pour être prêt le jour où la cuisine solaire démarrera. Car tôt ou tard il faudra qu'elle démarre : le commerce intensif du bois et du charbon que pratiquent tous les villages de la région au mépris des lois ne pourra pas durer. Les arbustes disparaissent pour laisser place aux champs de mil et de coton et en cette saison sèche, le paysage est un désert uniquement parsemé de grands arbres, baobabs, manguiers, rôniers... "Et quand on coupera le dernier arbre pour cuire le dernier repas, que va-t-on faire ?". Mais les traditions ont la vie dure. Dans ce pays où l'on pratique encore couramment l'excision, une femme courageuse se doit d'avoir au moins trois ans de réserve de bois de chauffe... à la grande joie des termites. Alors Gnibouwa interpelle les ministres pour que le discours et les bonnes intentions se traduisent par des actions sur le terrain. On lui a promis une semaine de l'énergie pendant laquelle la cuisine solaire pourrait être médiatisée. Avec François, son fils aîné, il voudrait monter un atelier spécialisé dans les cuiseurs solaires afin de maîtriser toutes les phases de la fabrication et diminuer les prix de revient. Parallèlement, il travaille à la partie la plus délicate du projet : comment convaincre le grand public que son intérêt est bien là, malgré un investissement de départ important (75000 FCFA). Il peaufine son argumentaire et espère trouver des partenaires, notamment auprès des associations féminines. Depuis 1994, il n'a vendu qu'une cinquantaine de cuiseurs, "pas de quoi nourrir son homme", dit-il, mais Gnibouwa est un homme persévérant.
14/04/03 Bamako, Mali
Les secrets de Ouagadougou
J'étais confiant en faisant le voyage de Bamako à Ouagadougou au Burkina-Faso : quatre contacts avec numéros de téléphone dans la même ville, c'était un record. Mais une fois arrivé, je déchante rapidement. Trois numéros ne sont plus attribués, le quatrième est en dérangement et comme les adresses ici se limitent à un numéro de boîte postale, impossible de me rendre sur place. L'annuaire ne me livre aucune information et j'ai beau tourner en ville toute une journée, je ne trouve rien. D'ailleurs, il est bien difficile de se repérer dans cette ville où les rues à angles droits se ressemblent toutes. Un plan me serait bien utile pour éviter de tourner en rond, mais de toute évidence, c'est une denrée rare. On m'explique que c'est le monopole de l'Institut Géographique du Burkina, donc personne d'autre n'en édite. Par chance, je finis par dénicher ledit plan dans une librairie papeterie qui, pour une fois, vend des livres. A part les grands axes, aucun nom de rue n'y figure, mais je devrai m'en contenter. Avec mon immense plan, je suis toujours aussi désorienté et je dois bien me rendre à l'évidence, les rues ont été renommées depuis l'édition du plan et, tel l'explorateur, boussole en main, j'entreprends de noter ou de rectifier le nom des rues sur mon passage afin d'assurer mon retour. Deux jours après mon arrivée, je commence sérieusement à envisager mon retour au Mali bredouille. Heureusement, une discussion de bar me livre quelques indices. Je rencontre aussi Adama, un jeune rasta qui sera mon guide pendant trois jours d'une véritable enquête de limier à la recherche des acteurs de l'énergie solaire de la ville.
CEAS et ATESTA : le Centre Ecologique Albert Schweitzer avec son Atelier d'Energie Solaire et de Technologie Appropriée est un centre de recherche et de formation à l'attention des paysans, artisans et PME dans divers domaines : cuisson, séchage et chauffe-eau solaires, agriculture, apiculture, savonnerie, transformation des fruits et légumes... Actuellement, ce sont des expérimentations de réfrigération solaire par absorption directe qui sont menées avec l'appui d'universités suisse et canadienne. La documentaliste et le technicien me procurent une quantité de contacts à jour, cette fois-ci, dont certains de ceux que je recherchais.
APEES : l'Association pour la Promotion de l'Exploitation de l'Energie Solaire est une ONG d'origine allemande qui forme et soutient des artisans locaux désireux de fabriquer et distribuer des cuiseurs paraboliques (les tôles miroir sont importées d'Allemagne), des séchoirs solaires ronds dits "coquillage" ou des systèmes photovoltaïques d'électrification rurale. Après des expériences douloureuses de vente à crédit, l'APEES s'appuie maintenant sur un réseau de partenaires artisans et associations féminines et paysannes (comme le groupement NAAM auquel un paragraphe est consacré plus loin) pour diffuser séchoirs et cuiseurs, environ 500 unités depuis 1993.
ISOMET : créé par William Ilboudo qui a fait ses études en Europe et reste en contact avec l'Allemagne et les Pays-Bas, ISOMET est un atelier comptant quatre ouvriers où l'on fabrique tous types de cuiseurs solaires. Des cuiseurs à panneaux en carton (Cookits) dont un stock est prêt au fond de l'atelier, des cuiseurs boîtiers en simple et double taille dont 300 exemplaires ont été vendus suite à une série de 10 émissions télévisées il y a 5 ans et qui se vendent depuis au rythme d'une cinquantaine par an et des cuiseurs paraboliques pour 2, 4 ou 10 personnes que William fait venir en kits de Hollande. Mais là, il faut s'acquitter de 33% de droits de douane, alors que le gaz est subventionné à 40% par l'Etat. Autre concurrence déloyale, paradoxalement, les ONG qui subventionnent leurs matériels et qui attirent les jeunes diplômés avec des salaires supérieurs au marché. Cela n'empêche pas William de se lancer dans de grands projets. Par deux fois, grâce à un financement suisse, il a équipé des cantines scolaires de deux paraboles automatiques de 8m² suivant un principe développé de par le monde par un Allemand, Wolfgang Scheffler. Des mécanismes d'horlogerie à balancier sont confectionnés dans l'atelier à partir de pédaliers de bicyclette pour permettre aux paraboles de suivre le soleil. Malheureusement, dans les deux cas, le manque d'entretien et les déprédations sont venues à bout du matériel. Dernier grand chantier : une boulangerie solaire d'une capacité journalière de 1500 pains à Ouagadougou équipée de 16 paraboles de 8m² et d'un système de stockage de la chaleur au moyen d'un container rempli de pierres, un projet mené par le Solar Institüt Jülisch près d'Aix la Chapelle qui est en cours d'achèvement et pour lequel ISOMET a réalisé les paraboles. William a la tête pleine de projets et s'il doit pour l'instant payer ses employés par le biais d'autres activités, il n'en est pas moins en train de construire un nouvel atelier plus spacieux.
SED : la société des Energies Domestiques de Boubacar Zongo, a tout juste deux mois d'existence. Spécialisé dans les foyers améliorés (consommant moins de bois que les feux ouverts), Boubacar est aussi l'inventeur d'un brûleur à pétrole destiné à ces mêmes foyers, invention primée lors d'un forum de l'innovation à Dakar. L'idée pour SED est de sensibiliser le public dans la rue au moyen d'une boutique dans un quartier populaire disposant d'une terrasse bien exposée où deux employées cuisent d'ores et déjà des gâteaux dans des cuiseurs boîtier fabriqués par ISOMET. Ces gâteaux sont vendus sur place et en ville avec une petite carte explicative. Prochaine étape, la cuisson et la vente de poulets sur le même principe et l'installation d'un télécentre (cabine téléphonique privée) pour augmenter la fréquentation de la boutique. Une excellente idée pour une publicité autofinancée. S'appuyant sur l'encadrement technique du CEAS et ATESTA, SED est un exemple des initiatives permises par un tissu de ressources locales qui semble s'étoffer à Ouagadougou.
Le groupement NAAM
De Ouagadougou, je me rends à Ouahigouya, à 182 km au nord ouest, aux frontières du désert, pour rendre visite au siège du groupement NAAM. Fondée en 1967, cette organisation paysanne dont le nom signifie "pouvoir" est largement répandue au Burkina Faso avec 5260 représentations et reprend un type d'organisation antérieur à la colonisation sans discrimination sociale ou sexuelle. Des cellules techniques se répartissent les différents domaines d'activité. La cellule VESEM (Valorisation de l'Energie Solaire pour l'Environnement et le Ménage) s'occupe de cuiseurs et séchoirs solaires. Monsieur Alidou et Madame Kadisso me présentent le projet de diffusion de foyers solaires qui est en place depuis presque trois ans, avec 150 cuiseurs vendus et une centaine en commande. L'appareil concerné est un cuiseur parabolique de 1,40 m de diamètre convenant à une famille d'une dizaine de personnes. Les tôles d'aluminium ultrabrillant sont importées d'Allemagne par APEES et le reste, structure de la parabole, support et repose plat est fabriqué sur place au moyen de matériaux disponibles localement : tubes et plats en acier et fer à béton. C'est un atelier du groupement, le centre Bassnere, qui se charge de cette réalisation au rythme de 10 à 20 unités par mois suivant la charge. Des gabarits sont utilisés pour le formage des pièces et leur soudure. Les artisans sont payés au forfait (30 000 FCFA pièce) et sont donc intéressés par une montée en volume. En ce qui concerne la diffusion de ces foyers, la stratégie du groupement NAAM repose sur deux éléments : la radio du groupement dont l'antenne domine de plusieurs dizaines de mètres les bâtiments a une portée de 200 km et diffuse deux fois par mois une émission consacrée à la cuisson solaire et animée par monsieur Alidou. Second élément, l'équipement des employés du groupement de ces foyers car, comme tient à le préciser Monsieur Yacouba, le directeur, il faut être convaincu soi-même pour convaincre les autres. Ainsi, du gardien au chauffeur, chacun me vante les vertus du foyer solaire. Le bouche à oreille, très efficace ici, fera le reste. Madame Kadisso, animatrice principale, rend visite à tous les acquéreurs deux fois par mois pour vérifier que tout se passe bien, tant au niveau de l'utilisation que de l'entretien. Mais l'aspect le plus encourageant du projet est le mode de financement : ici, pas de subvention, les acquéreurs payent la totalité du cuiseur, une somme importante (95 000 FCFA soit 145 Euros avec trois marmites en fonte d'aluminium), avec pour seule aide une possibilité de crédit (à 8%) jusqu'à 48 mois grâce à un fonds débloqué par l'ONG Frères des Hommes. Un tel investissement garantit d'une part la viabilité du projet par la rémunération normale des artisans fournisseurs et d'autre part une utilisation optimale par les familles qui feront à coup sûr l'effort d'adaptation nécessaire. Celles-ci sont par ailleurs sensibilisées sur l'intérêt écologique dans cette région où l'on lutte contre l'avancée du désert et sur l'intérêt économique car ici, il n'est plus possible de ramasser son bois de chauffe, il faut le faire venir et l'acheter, et même si l'Etat subventionne le gaz à 40%, le foyer solaire reste une source d'économies appréciable.
Curieusement, le choix technologique du foyer parabolique est différent de celui des cuiseurs boîtier généralement adoptés en régions tropicales. Une question d'opportunité, sans doute, puisque l'ONG allemande APEES est à l'origine de ce choix et vend au groupement NAAM les tôles réfléchissantes sans lesquelles la réalisation de ce type de cuiseur est impossible. L'avantage incontestable de ce principe qui consiste à concentrer la lumière solaire sous la marmite est la similitude du mode de cuisson avec le feu de fois traditionnel ce qui facilite grandement son acceptation par les cuisinières. Il est ainsi possible de pratiquer tout type de cuisson, y compris la friture et la vapeur et l'accès à la marmite est libre, ce qui permet de surveiller la cuisson et de remuer, détail important pour la préparation du plat le plus populaire, le Tô. Un inconvénient est la nécessité de réorienter la parabole vers le soleil tous les quarts d'heure environ, ce que relativise Madame Kadisso : avec un foyer traditionnel, il faut aussi surveiller et replacer constamment les morceaux de bois. Mais l'inconvénient principal du cuiseur parabolique est qu'il nécessite un ciel clair et ne peut fonctionner par temps nuageux ou en cas de tempête de sable, ce qui en limite l'utilisation, notamment pendant la saison des pluies. Afin d'y remédier, un foyer à gaz est proposé en option. Les cuiseurs de type boîtier, qui captent la lumière au moyen de plaques noires et confinent la chaleur dans un espace clos nécessitent moins d'attention et fonctionnent une plus grande partie de l'année pour un coût d'achat inférieur, mais demandent une profonde modification des habitudes des cuisinières ce qui aboutit généralement à un échec et à l'abandon du cuiseur. Le groupement NAAM, qui a proposé ce type de cuiseurs par le passé en a cessé la fabrication pour choisir une solution certes plus chère et plus limitée, mais qui bouleverse moins les habitudes. Peut-être s'agit-il d'une première étape destinée à démystifier et à vulgariser la cuisson solaire. Reste que l'expérience est saine et semble en bonne voie.
23/03/03 Dakar
Un livre intéressant
Comme la plupart des Africains, Axelle Kabou est révoltée par le sous-développement de son continent et la misère qui l'accompagne.
Mais elle se distingue par son rejet des causes généralement admises de manipulations occidentales et par sa conviction que l'Afrique est grandement responsable de la dégradation constante de sa situation depuis les indépendances. Contrairement au discours officiel, elle affirme que l'Afrique refuse le développement tout comme l'unité de ses nations.
Son livre ne se contente pas de décrire les dangers de ces deux attitudes mais donne des explications sur leur raison d'être.
Le refus du développement a des causes historiques qui conduisent les Africains à s'opposer à l'Occident et à ses valeurs supposées comme la technologie ou l'organisation, des causes psychologiques comme l'humiliation engendrée par l'état même de sous-développement ou la crainte de perte d'identité culturelle et des causes politiques liées à des régimes totalitaires pour lesquels le développement représente un danger.
Axelle Kabou dénonce aussi la faiblesse de l'Afrique au niveau international due au refus des cinquante états qui la composent de s'unifier. Elle analyse les différents discours de l'Organisation de l'Unité Africaine qui reflètent la crainte de perte de pouvoir des Chefs d'Etats membres, ce qui les conduit à s'opposer à toute forme d'unité, laissant le continent à la merci des appétits étrangers.
Pour ces différentes raisons, malgré des atouts indéniables, l'Afrique s'avère incapable depuis quarante ans à mettre en place les bases mêmes du développement comme ont su le faire certains pays d'Asie.
Le livre "Et si l'Afrique refusait le développement ?" est un appel aux Africains à porter un regard nouveau sur eux-mêmes, à se responsabiliser et à s'unifier pour construire un avenir meilleur.